Chapitre V : l'auberge des huit plats

Publié le par Géhaimme

Et voilà le cinquième chapitre ! Régalez-vous et n'hésitez pas à poster des commentaires ou des MP.

Bonne lecture !

Minsa montait laborieusement les marches de sa cage d’escalier. Ses deux mains étaient cramponnées fermement à la rambarde, pour assurer son ascension.

« Maudit alcool ! » se plaignit-elle.

Les années passantes, elle ne tenait plus aussi bien la boisson que dans sa jeunesse. Pour autant, cela ne l’empêchait pas d’apprécier les soirées animées dans les auberges de Tyal.

Tout en pestant contre l’escalier qui semblait résolu à se contorsionner sous ses pieds, elle gagna son appartement, au prix d’un affreux mal de crâne. Elle fouilla maladroitement dans l’une de ses poches, et en sortir une longue clé qu’elle approcha de la serrure. Après deux tentatives infructueuses, elle glissa la longue tige de métal dans le trou de la porte. Le cliquetis mécanique salvateur se fit entendre. L’humaine sentit un sentiment victorieux l’envahir.

Enfin chez elle !

Elle pénétra dans la pièce sombre et s’adossa au mur afin de récupérer de ses efforts. Elle referma la porte d’un geste non contrôlé, manquant in extremis de se retrouver face contre terre. Les jambes flageolantes, elle progressa vers son lit en s’aidant du mur. Bientôt, elle pourrait se laisser envahir par le sommeil.

Un grattement d’allumette se fit entendre. Et une petite lueur naquit sur la table à manger. Minsa regarda ce phénomène d’un air très étonné. Avait-elle bu au point d’avoir des hallucinations ?

La petite flamme donna vie à une deuxième source de lumière, au sommet d’une bougie. La pièce s’éclaira alors, révélant quatre hommes vêtus de noir.

Minsa sentit son cœur se figer.

Les intrus semblaient l’attendre depuis un certain temps. Tous portaient une tenue de cuir noir. Leurs visages étaient à demi dissimulés sous la capuche de leur longue cape sombre.

L’homme le plus à gauche de Minsa se leva, aussitôt suivi par ses trois compagnons. La voleuse remarqua tout de suite l’épée courte qu’ils portaient à leur ceinture. Elles étaient faites dans un métal noir.

Sentant le danger, la jeune femme voulut s’enfuir. Mais son corps, engourdi par l’alcool, ne put suivre sa pensée. Sa main glissa contre le mur. Elle s’écroula lamentablement par terre. Les hommes s’approchèrent lentement d’elle. La jeune femme à la chevelure rougeoyante rampa jusqu’à la porte. Mais des mains la saisirent et l’éloignèrent de son seul espoir de fuite. Elle ne put opposer qu’une faible résistance. Un bâillon vint se resserrer contre sa bouche avant même que l’idée de crier ne lui vienne. Les inconnus la firent ensuite s’asseoir sur une chaise, où ils la ligotèrent.

Un des hommes s’approcha de la table et sortit de sous sa cape un rouleau en cuir qu’il déplia sur la table. Le sang de la jeune femme se glaça à la vue des lames acérées qui venaient d’apparaître sous ses yeux. La peur au ventre, elle se débattit contre les liens qui la maintenaient sur la chaise, ce qui fit sourire l’homme aux instruments de torture.

Un des intrus s’approcha d’elle, une seringue à la main. Il tapota contre le tube de verre et fit gicler un peu de produit jaunâtre.

– Voilà qui devrait vous rendre vos esprits, dit-il calmement.

L’aiguille se planta dans le bras de la voleuse, et en quelques minutes, l’épais brouillard qui embrumait son esprit se dissipa. À présent, elle percevait distinctement les quatre hommes qui lui tenaient compagnie. Et était plus à même d’apprécier la dangerosité de la situation dans laquelle elle se trouvait.

L’homme troqua la seringue contre un scalpel. Il l’approcha du visage de la femme.

– Si vous criez, je vous tue, prévint-il avant de faire signe à son compagnon d’ôter le bâillon. À présent, parlez-nous de votre ami, le déahra.

– Je ne fréquente pas ces êtres, mentit-elle.

La lame s’approcha. Minsa recula la tête, mais deux mains vinrent l’empêcher de bouger. Elle se débattit, mais l’homme la tenait fermement. La petite lame s’enfonça doucement dans sa joue et se fraya un chemin sanguinolent jusqu’au bas de sa mâchoire. Minsa hurla de douleur. Un cri qui fut aussitôt étouffé par le bâillon qu’un des hommes lui enfonça sans ménagement dans la bouche.

– Vous avez la mémoire courte. Mais ne vous inquiétez pas, nous sommes des professionnels. Je saurais raviver vos souvenirs.

Le scalpel teinté de rouge approcha de nouveau.

*

Quatre jours s’étaient écoulés depuis que le Naguila avait passé Brisken. À présent, il n’était plus qu’à une centaine de kilomètres de Mem’ra. Mais un épais brouillard en masquait la vue. À bord du navire, l’ambiance était lourde : la traversée du champ de débris n’avait pas été sans incident. Les matelots étaient encore sous le choc.

Deux dragonneaux blancs les avaient pris en chasse au cours du périple. La pire menace que pouvait rencontrer un marin dans Briken ! Car contrairement à leurs aînés, ces derniers possédaient encore le sens de la vue. L’équipage avait été constamment harcelé, et près du quart avait été dévoré par les jeunes reptiles.

Le chirurgien de bord avait fait tout ce qu’il avait pu pour garder les blessés en vie. Hélas, les moyens du bord s’étaient révélés insuffisants pour sauver les plus meurtris d’entre eux. Leurs corps sans vie avaient été jetés dans le vide, après une brève cérémonie, afin d’éviter que les maladies et les odeurs de décomposition ne se propagent à bord.

Le Naguila avait également été sévèrement touché pendant le combat. Des pans entiers de sa coque et de sa charpente avaient été arrachés, ce qui lui donnait l’aspect d’une véritable épave. Quelques réparations de fortune avaient été effectuées en cours de route, mais ce n’était qu’une question de temps avant que la structure ne cède pour de bon.

Fort heureusement, il n’était plus très loin de Mem’ra.

Le brouillard s’évanouit quelques kilomètres plus loin. Une immense étendue de conifères, dominée en son centre par un imposant massif montagneux, se révéla alors à eux. En périphérie de ce mélange de bois et de roche, de longues plaines séparaient la forêt des bords de l’île. Le tout était soumis à un climat tempéré où, par ce milieu d’été, il faisait bon de vivre.

Mais sous cet aspect de nature restée à l’état sauvage, se cachait un des royaumes les plus puissants et prospères d’Arcania. Une position due à ses mines abondantes en charbon et en métaux. Elle était dirigée par une oligarchie de dix personnes dont les membres, triés sur le volet, étaient choisis par eux-mêmes. Mais là ne s’arrêtait pas l’originalité de l’île, car bien qu’elle fût la seule représentante de ce système politique, elle était également la seule à promouvoir l’égalité totale entre toutes les races, qu’elles soient douées de magie ou non. Ainsi les droits et les libertés que possédait un être humain étaient les mêmes que ceux d’un arcanien ou d’un démon.

Les marins accueillirent la vision de ce fabuleux paysage avec tristesse, nombre de leurs camarades ne le verraient jamais. Détaché de cette peine générale, Krel préféra se maintenir à l’écart. Des morts, il en avait vu. Et ce ne seraient certainement pas les derniers ! Il était cependant ravi d’avoir enfin atteint sa destination. Il avait bien cru ne jamais y parvenir.

L’aéronef atteignit les côtes de Mem’ra dans l’après-midi et accosta dans une petite ville portuaire du nom de Cimira. Le port, de bonne taille, servait de point de liaison entre Ephus — la capitale — et les îles du sud d’Arcania. Les docks étaient remplis de navires en tout genre : les marchands venaient des quatre coins du monde. Le capitaine du Naguila repéra une place libre sur un des docks, et amorça la descente.

La ville présentait nombre de bâtiments aux murs clairs, encastrés les uns dans les autres. Une architecture qui donnait naissance à de nombreuses petites rues exiguës qui, à l’inverse de Tyal, demeuraient propres et bien entretenues. De grandes avenues pavées traversaient la ville de part en part et y apportaient un semblant d’organisation. Au loin, une grande route de pierre quittait la ville pour disparaître dans la forêt. Elle menait directement à la capitale.

Le Naguila se posa avec précision le long du ponton numéro quatre, sous le regard médusé des passants. Une foule de curieux commença à s’amasser autour du navire en ruine. Que s’était-il passé ? Avaient-ils été attaqués par des pirates ? La nouvelle se répandit comme une trainée de poudre et atteignit le bureau des douanes, où l’on dépêcha des hommes pour venir en aide aux rescapés. Les blessés furent évacués en un temps record et les survivants examinés par des médecins.

Soucieux d’éviter de laisser tout indice le concernant, Krel profita de la cohue pour disparaître. Sans jeter un regard en arrière, il s’envola vers le dock voisin. Puis il disparut au tournant d’une des grandes avenues.

Il y avait foule ! Et pour cause, c’était jour de marché. De nombreux commerçants allaient et venaient le long de la rue pavée. L’avenue était encadrée par une armée d’échoppe en tout genre : armuriers, forgerons, tisserands, épiciers, apothicaire… Krel n’aimait guère être entouré d’autant de monde, mais cela avait l’avantage de le faire passer inaperçu. Comme à Gildor, les peuples magiques ne se faisaient pas rares sur Mem’ra — arcaniens et démons y étaient même les races dominantes.

Le déahra se fraya un chemin parmi la populace et gagna un des quartiers d’habitation. Il se réfugia dans une des ruelles de la ville, heureux de quitter le flot bruyant et bousculant des grands axes. Il marcha jusqu’à se retrouver devant un petit bâtiment dont le rez-de-chaussée était dominé par une enseigne en bois à demi délabrée. La pancarte représentait un rat assis sur une dague et un petit tas d’or. Il y était écrit : Les huit plats.

Krel poussa la porte de la taverne et entra.

Contrairement à ce qu’aurait pu faire penser l’aspect extérieur de l’établissement, ce dernier était plutôt propre et accueillant. À gauche de l’entrée se tenait un comptoir où siégeaient quelques clients sur de hauts tabourets. Et à droite, les huit tables que comptait l’auberge. Il y avait peu de clients. Mais cela ne les empêchait pas d’émettre un brouhaha aussi assourdissant que celui qui régnait dans les axes principaux de la ville. Néanmoins, il émanait de la salle une atmosphère chaleureuse.

De nombreux visages se tournèrent vers le déahra à son approche. Krel les ignora et se dirigea directement vers le comptoir où un humain de taille colossale semblait très occupé à essuyer des verres. Krel s’installa au comptoir, entre deux arcaniens au visage maussade. Le géant était dos tourné à la salle, il ne l’avait pas encore remarqué.

L’homme mesurait près de deux mètres de haut. Sa tunique rouge laissait transparaître une musculature saillante. Il portait des cheveux courts, bruns. Et les contours de son visage étaient encadrés par une barbe de plusieurs jours.

Quand l’aubergiste eut fini de ranger tous les verres, il se retourna. Le grand homme poussa alors un cri de surprise et manqua de peu de renverser toute la verrerie.

– Par les Quatre ! Krel ! Tu m’as filé une de ces frousses.

– C’était le but. Tu peux lâcher ton arme, tu sais.

Garmon Telvs gloussa et ôta sa main de la crosse du pistolet à poudre qui demeurait cachée sous le comptoir. Son visage devint subitement sérieux.

– Tu l’as ? murmura-t-il.

– Oui. Au fait, avant que je n’oublie, tu as le bonjour de Minsa.

– Comment va-t-elle ?

– Bien, elle n’a pas changé d’un poil. À part quelques rides. Vous vieillissez si vite, vous les humains.

– Malheureusement…

Soudain, une table se renversa non loin d’eux. En un éclair, Krel fit volte-face, la main sur le pommeau de son épée. Deux ivrognes étaient en train de se battre au fond de la salle, chacun accusant l’autre d’avoir triché aux cartes.

– La partie est finie pour eux, grommela Garmon.

L’homme quitta le comptoir d’un pas vif et ses grosses mains attrapèrent les deux combattants par le col, pour les jeter hors de son établissement. Garmon regagna ensuite sa place et le brouhaha repris.

– On peut discuter au calme ? proposa Krel.

L’aubergiste acquiesça. Quelque chose l’intriguait dans l’attitude de son ami : il était rarement aussi nerveux. Il mit une main en portevoix et cria en direction de l’escalier qui menait au premier étage :

– Iria ! Viens me remplacer !

Sa voix couvrit aisément l’ensemble de celles de ses clients. À l’étage, des bruits de pas précipités se firent entendre. Quelques secondes plus tard, une charmante jeune humaine aux formes élancées descendit. Krel ne put s’empêcher de la regarder de haut en bas. Ce n’était pas tous les jours que l’on rencontrait une femme pareille !

Son visage affichait un air sévère, souligné par des yeux perçants couleur émeraude. Ses cheveux, bruns, étaient rassemblés en une longue tresse qui descendait jusqu’au creux de ses reins. Sur son front quelques mèches rebelles se livraient une bataille sans merci. La jeune humaine arborait une silhouette fine et élancée, une poitrine généreuse, mais des fesses qui manquaient un peu de rondeur ; du moins selon les goûts du déahra. Autrement, elle était vêtue d’une chemise en lin bleu, un peu trop petite pour elle, et d’un pantalon en toile.

– Je te présente Iria, ma fille, dit fièrement Garmon. Tu l’avais déjà vu quand elle était toute petite.

Iria jeta au déahra un regard méfiant. Ses yeux verts allèrent des ailes noires aux yeux de braise de l’étranger. Elle le détesta immédiatement. Elle ne savait pas pourquoi, mais cet homme la mettait mal à l’aise. Une chose qu’elle ne supportait pas. Gênée et furieuse de l’être, elle étouffa son ressentiment et s’empressa de disparaître dans la cuisine. Krel la regarda partir, incapable d’en détourner les yeux.

– Elle a un sacré caractère, dit Garmon avec enthousiasme, mais pas touche ! C’est ma fille.

– Voyons comme si c’était dans mes habitudes, répondit Krel. En tout cas, elle a de qui tenir.

– Et pas qu’un peu ! Mais c’est encore une enfant. Bien qu’elle n’y paraisse pas.

Garmon se leva et invita Krel à le suivre. Ils traversèrent la cuisine et disparurent derrière une tapisserie murale. Iria était occupée à remplir plusieurs assiettes de potage de légumes. Krel remarqua tout de même qu’elle suivait ses moindres faits et gestes dans le reflet des casseroles cuivrées accrochées au mur.

– Voici mon salon privé, dit Garmon en présentant une petite salle dissimulée.

Il s’agissait d’une minuscule pièce où une petite table circulaire occupait la majorité de la place disponible. Une magnifique banquette l’entourait.

– Le bruit courait que tu t’étais retiré, lança Krel.

– Il est bon de savoir modeler certaines rumeurs. J’occupe une place assez importante à présent.

– Ta fille est au courant ?

– Elle travaille de temps en temps pour la Guilde. Elle est plutôt douée d’ailleurs, comme son père. Allez, installe-toi et parlons sérieusement.

Krel prit place sur la banquette et s’assit en face du grand homme. Il sortit le médaillon de sa poche et le posa sur la table.

– Bel objet, admira l’aubergiste en examinant le médaillon. Des runes aréis si je ne m’abuse. (Il le fit tourner entre ses doigts puis le reposa.) Comment s’est passée la mission ?

– Mal. J’ai bien peur de m’être fait un puissant ennemi.

– Le duc Meraz ?

– Pas seulement. Alfard a frisé l’incident diplomatique avec Gildor pour tenter de récupérer cet artefact.

Le visage de Garmon s’assombrit.

– Ça, ça ne me dit rien qui vaille. Raconte-moi tout.

Krel lui narra alors ses mésaventures. La mine de Garmon s’aggrava au fur et à mesure du récit.

– Ce que tu me contes là est très étrange, dit-il. Je suis d’accord avec Minsa, ce n’est pas normal qu’Alfard réagisse de cette façon pour un vulgaire bijou. Je ne sais pas ce qu’il représente pour eux, mais il doit avoir quelque chose de spécial pour mériter une telle convoitise. Je vais demander de renforcer la surveillance des ports. Si tes mystérieux poursuivants viennent jusqu’ici, nous les recevrons comme il se doit.

– Merci, Garmon. Mais je pense que Minsa a déjà fait le nécessaire.

– J’ai confiance en Minsa, mais on n’est jamais trop prudent. Surtout dans notre métier. Pour en revenir à notre affaire, je vais informer la Guilde de ta réussite. En attendant, tu devras rester à Cimira.

– J’espère que tes chambres sont confortables.

– Désolé de te décevoir, Krel. Mais il est plus prudent que tu prennes une chambre dans un autre établissement : mieux vaut ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Qui plus est, je n’aime pas trop l’idée de te voir rôder autour de ma fille.

– Merci pour ta confiance…

Garmon gloussa une dernière fois avant de se lever, marquant ainsi la fin de l’entrevue.

– J’enverrai Vriilus te contacter quand la date de la rencontre sera fixée. Passe une bonne soirée.

Après une rude poignée de main, le déahra souleva la tapisserie et rejoignit les rues de la ville.

– Qui était-ce ? questionna Iria, d’un air faussement désintéressé.

– Un ami de longue date. Retournons au travail.

La jeune humaine acquiesça et sortit de la cuisine, les bras chargés de plats.

– J’ai l’impression que les jours à venir vont être mouvementés, murmura le grand homme à lui-même.

Krel s’éveilla dans une des chambres de l’hôtel le plus miteux qu’il n’ait jamais connu. Il s’étira de tout son long et fit jouer de ses ailes. Il avait mal partout. La literie était aussi dure que de la pierre ! Et cela faisait une semaine qu’il dormait sur cet insupportable instrument de torture. Hélas, sa fortune personnelle ne pouvait lui offrir mieux.

Sa main gauche, recouverte du métal blanc argenté, prit le médaillon qui pendait à présent autour de son cou. Avec tous les pickpockets qui traînaient dans le coin, il était plus prudent de le porter ainsi. Il porta l’objet à hauteur de ses yeux.

Encore quelques jours, et sa bourse serait pleine à craquer !

Soudain, des coups résonnèrent à sa porte. Krel fit disparaître l’artefact sous sa chemise, et empoigna sa dague. Il traversa la pièce, chacun de ses pas arrachant au plancher poussiéreux une longue plainte stridente. S’il avait voulu masquer sa présence, c’était raté ! Il ôta le verrou de sécurité et entrouvrit la porte. Un étrange arcanien se tenait dans le couloir. C’était un petit être, âgé, et au dos voûté. Un long manteau rapiécé de morceau de tissu brun dissimulait la totalité de son corps. Ses ailes étaient, à plusieurs endroits, dégarnies de leur plumage blanc. Au premier abord, on ne voyait en cette hideuse personne qu’un vulgaire mendiant, indigne d’intérêt. En réalité, il était un des agents les plus discrets de la Guilde.

– Salut Krel ! lança l’arcanien, d’une voix rauque.

– Vriilus, quel mauvais vent t’amène ?

Le mendiant émit une sorte de raclement de gorge.

– Toujours aussi comique, hein ? Garmon m’envoie pour te dire que ta rencontre avec la Guilde a été fixée. Il te remettra les instructions en personne ce soir, aux écuries Vranes.

Krel garda le silence quelques secondes. Cette décision lui paraissait étrange : pourquoi ne pas avoir directement transmis ces instructions à Vriilus ? Sans doute avait-il quelque chose à lui demander en privé.

– Ravi d’avoir revu ta sale tête, le remercia Krel qui s’apprêtait déjà à refermer la porte.

Mais l’arcanien ne semblait pas vouloir partir, il resta étrangement immobile. Intrigué, le déahra l’interrogea du regard.

– Minsa a été tuée, finit-il par avouer.

Le temps paru comme se figer pour le déahra.

– Son corps a été retrouvé chez elle peu après ton départ. Elle n’était plus dans un très bon état. Vu les mutilations qu’elle présentait, il ne fait aucun doute qu’elle a été torturée.

Krel déglutit avec difficulté, imaginant l’horrible scène. Une tristesse mêlée à une haine sans nom monta en lui. L’aura rouge de sa colère commença alors à se manifester. L’arcanien recula alors d’un pas.

– Qui a fait ça ? gronda Krel.

– Aucune idée. Mais ce qui est sûr, c’est que ce sont des pros. Ils ont également liquidé tous les autres agents de la cellule de Tyal.

Krel crut que le sol allait se dérober sous ses pieds. Il connaissait nombre de ces personnes, beaucoup étaient de bons combattants. Ces assassins n’étaient pas à prendre à la légère !

– Merci, Vriilus. Il vaut mieux que tu me laisses maintenant.

L’arcanien hocha la tête.

– Minsa était une personne très respectée au sein de la Guilde. Sa perte laissera un grand vide.

Krel sentait sa rage augmenter au même rythme que son chagrin. Des centaines de souvenirs de Minsa lui revenaient en mémoire. Vriilus devina qu’il était temps pour lui de partir. Tel le messager de la mort venant délivrer sa funeste nouvelle, il tourna les talons et disparut au coin du couloir.

Le déahra resta seul sur le seuil de la porte, pétrifié par la colère. Il avait envie de tout détruire… Qu’importe qui étaient ces tueurs, il les ferait payer pour leurs crimes ! Ses yeux humides finirent par laisser couler quelques larmes. « Minsa… Je te vengerai, je le jure ! » D’un geste vif, il apposa sa dague sur la paume de sa main droite et l’entailla.

– Je le jure sur ce sang !

La douleur l’aida à retrouver un peu de sa lucidité. Il s’assit sur le rebord du lit et se força à se calmer. Après plusieurs minutes d’effort, il parvint à se contenir. Le voleur ne pouvait cependant pas s’empêcher de penser à celle qu’il avait aimée. Une nouvelle fois, il venait de perdre un être cher…

Minsa avait été beaucoup de choses pour lui : une élève, une coéquipière, et une amante. Elle avait été une des rares femmes à qui il s’était réellement attaché. Le récent souvenir des quelques jours passés à Tyal lui revint aussitôt. Il saisit alors l’artefact de sa main ensanglantée et l’ôta de son cou.

– Tout ça à cause de toi… murmura-t-il avec douleur.

L’artefact scintilla alors d’une lueur mauve si puissante que Krel en fut ébloui. Lorsque la lumière mourut, Krel Nurdhal n’existait plus en tant qu’un seul être, mais en tant que deux : lui et le médaillon. Le déahra ne savait comment expliquer cette sensation des plus étranges, mais à présent l’artefact faisait partie intégrante de son être ! C’était comme s’il était en train de tenir son propre cœur dans le creux de sa main. Il en ressentait le moindre détail, comme s’ils avaient été inscrits sur sa peau. Mais il ne ressentait pas que cela…

Le médaillon n’était en réalité en rien de ce qu’il paraissait être. Krel pouvait à présent en sentir la puissance colossale qui y était enfermée. Cette dernière dépassait de loin tout ce qu’il avait pu connaître en la matière. Arcanien, démon, ou même déahra, aucun ne possédait tant de pouvoir. Une autre chose l’intriguait cependant… Il avait l’impression que l’objet possédait une présence… une âme.

Comment était-ce possible ? Quel était donc cet objet ?

Plus que surpris, il lâcha l’objet. Krel remarqua alors que la blessure qu’il venait de s’infliger avait cicatrisé. Il n’y avait plus une seule goutte de sang. Ni sur sa main ni sur le médaillon. Était-il devenu fou ? Il se sentit paniquer. Il s’obligea néanmoins à ordonner le flux de ses pensées. Il ne devait en aucun cas céder à la folie. La raison la plus logique dans ce qui venait de se produire était que le médaillon avait réagi au contact de son sang. Un lien avait dû alors se créer entre eux.

Jamais une relique aréis n’avait montré une telle capacité !

Des centaines de questions fusaient dans la tête du voleur, et aucune n’avait de réponses. Il ne savait comment inverser le processus, ni même si c’était possible. Pire, il ne savait pas quelles conséquences cette « union » impliquait. Il se sentait piégé, impuissant. La seule chose qu’il pouvait faire pour le moment était attendre d’en savoir plus sur sa situation.

Un espoir restait cependant. Il connaissait une personne à la capitale qui pouvait le renseigner sur ce sujet. Il devait impérativement la rencontrer !

Le soir même, Krel quitta la ville pour se rendre dans les faubourgs est. Son esprit était toujours obnubilé par le mystérieux artefact et ce qu’il venait de lui arriver. Au bout d’une vingtaine de minutes de marche sous un ciel nuageux et empreint d’une couleur rougeâtre, il atteignit les écuries Vranes.

Le propriétaire était un ancien agent de la Guilde. L’endroit servait fréquemment de lieux de rencontres et d’échanges. Krel approcha de la grange, juste à côté de l’habitation principale. Trois silhouettes l’y attendaient, à moitié plongées dans la pénombre. Krel reconnut celle de Garmon et de sa fille. L’identité et la raison de la présence de la troisième demeuraient un mystère…

Sur ses gardes, le voleur franchit les grandes portes en bois. Du coin de l’œil, il balaya les zones d’ombres et autres cachettes possibles. Il ne vit rien qui aurait pu trahir la présence d’un éventuel danger. En s’approchant davantage, il remarqua que l’inconnu était vêtu d’une grande cape noire dont la capuche ne laissait entrevoir que le bas de son visage anguleux. L’impression qu’il laissa au déahra fut sans appel : cet homme était un tueur !

Krel glissait discrètement sa main vers le pommeau de son épée. Il n’eut pas le temps de la dégainer qu’un carreau se figea à ses pieds. Trois hommes vêtus à l’identique du premier sortirent des ombres et l’encerclèrent, une épée noire à la main. L’un d’eux pointait sur lui une arbalète miniature fixée sur son poignet.

– Je suis désolé, Krel. S’excusa Garmon. Ils ont menacé ma famille… je n’avais pas le choix…

Un des hommes en noir se tourna vers Iria.

– Enlève-lui ses armes, ordonna-t-il.

Tremblante comme une feuille, la jeune humaine s’exécuta.

– Je suis désolée, dit-elle quand elle fut devant lui, les yeux embrumés de larmes.

– Ce n’est pas grave, répondit-il gentiment, fais ce qu’ils te demandent… (il ajouta le plus discrètement possible)… jusqu’à ce que j’agisse.

Iria ne laissa rien transparaître de ce qui venait d’être dit. En parfaite comédienne, elle défit son ceinturon, et le jeta au loin. Le privant de son épée courte.

– Fouille-le, ordonna l’assassin que Krel identifia comme étant le chef. Vois s’il ne cache pas d’autres armes. Et fais attention, à la moindre erreur, ton père rejoindra ses ancêtres.

L’humaine acquiesça et palpa le corps du déahra. Ses mains rencontrèrent la petite dague qu’il tenait cachée dans sa manche droite. Elle fit comme si de rien n’était et continua son investigation. Quand elle eut fini, elle s’éloigna.

– Il n’a rien d’autre.

L’homme qui était sur la gauche de Krel s’approcha.

– Donne-nous l’artefact !

– Et si je refuse ?

Un des assassins prit Iria par le bras et lui glissa son épée noire sous la gorge.

– Non ! hurla Garmon.

Le géant eut à peine le temps de faire un pas en avant que l’homme à l’arbalète le mis en joue. Il se figea aussitôt, son regard allant de Krel à sa fille.

– D’accord, céda Krel. Mais ôtez l’épée de son cou.

D’un geste de la main, le chef fit signe à son subordonné d’obéir. Sans gestes brusques, Krel ôta le médaillon qui pendait autour de son cou. Mais contre toute attente, son bras se rétracta au moment où l’homme en noir voulut s’en emparer. Krel fut aussi surpris que le chef des assassins. Que lui arrivait-il ? Il ne parvenait même pas à desserrer ses doigts de l’artefact.

L’assassin remit aussitôt son épée sous la gorge d’Iria.

– Donne-le-lui ! supplia Garmon.

Krel ne sut quoi répondre. Il était incapable de se séparer du médaillon ! Cela était inexplicable… L’expression horrifiée de son visage intrigua le quatuor d’assassins. Agacé, leur chef arracha l’artefact de ses mains. Krel le ressentit comme si on venait de lui arracher le cœur. Une insupportable sensation de vide l’envahit alors, sa respiration devint saccadée.

Il se sentait mourir !

Au plus profond de son être, un instinct inconnu s’empara de lui. Il n’avait plus qu’une chose en tête : récupérer son cœur, et à tout prix !

L’aura meurtrière se manifesta d’un coup autour de lui. Surpris, les espions reculèrent. Leur attitude confiante avait laissé place à la peur. L’homme qui leur faisait à présent face n’avait plus rien du simple voleur qu’ils avaient menacé. Il semblait s’être changé en une bête féroce, avide de sang.

Dans un cri de rage, il se jeta sur l’homme qui détenait l’artefact. Garmon et Iria en profitèrent aussitôt pour s’en prendre aux autres assassins.

Rapide comme l’éclair, Krel assena au chef des assassins un puissant coup de gantelet. L’homme para l’attaque, mais fut déstabilisé par la force du coup. Le déahra en profita pour lui arracher le médaillon des mains et lui envoyer son pied dans l’estomac. Le chef recula, plié en deux. Krel voulut l’achever, mais un des assassins s’interposa. L’épée sombre passa à quelques centimètres de sa gorge. Il feignit de partir sur la gauche et frappa l’homme de l’une de ses ailes, dans le bas des reins. Son nouvel opposant eut une grimace de douleur. Cependant cela ne l’empêcha pas de contre-attaquer. Sa lame entailla son adversaire au niveau de l’avant-bras. Krel rétracta aussitôt son membre meurtri. Une seconde attaque vint, il la para avec son gantelet. Il approcha alors de son opposant et lui assena un coup de tête avant de l’achever avec un crochet au menton. Un craquement d’os sinistre se fit entendre. L’assassin s’écroula aussitôt.

Le déahra lutta pour contenir la fureur qui ne demandait qu’à se libérer. En aucun cas, il ne devait se laisser submerger ! Sinon, il risquait de devenir un danger pour Iria et Garmon. Il empoigna l’épée noire que son adversaire avait laissée et se tourna vers le chef des assassins.

Ce dernier avait disparu. Krel jura.

De l’autre côté de la grange, Garmon se servait d’une pelle pour se défendre contre son adversaire. L’assassin était rapide et agile. L’aubergiste ne parvenait ni à le toucher ni à se défendre correctement. Et ce malgré l’avantage de sa taille.

L’épée noire fusait, l’entaillant à maintes reprises. Le grand homme se débarrassa de la pelle en la jetant à la figure de son assaillant. L’homme à la cape noire l’esquiva avec aisance. Et d’un geste vif lacéra l’épaule gauche de sa cible. L’aubergiste grimaça, mais ne battit pas en retraite pour autant : il venait d’avoir une idée !

Prenant son courage à deux mains, il avança contre son adversaire pour l’acculer dans un coin de la grange. L’assassin le toucha plusieurs fois, mais finit par se retrouver dos au mur. Pris au dépourvu, il n’eut pas le temps de se dégager qu’une des grosses mains de l’aubergiste l’attrapa par le col. Garmon lui brisa le nez d’un puissant coup de poing. L’homme en cape noire tomba au sol, hors d’état de nuire.

La rixe se termina en quelques minutes. Au sol gisaient trois assassins. Iria était assise, près d’un tas de débris de matériel agricole. Le combat qu’elle venait de livrer l’avait marquée à jamais… Elle ne cessait d’y repenser. C’était la première fois qu’elle voyait la mort passer aussi près. Car dès le début, le tueur l’avait blessée et envoyée à terre. Il s’était ensuite jeté sur elle pour lui couper la gorge. Elle l’avait alors mordu au bras pour se dégager avant de l’éjecter en le repoussant de ses jambes. Son corps avait percuté une poutre qui soutenait plusieurs étagères de matériel agricole. Fragilisée par le temps et l’usure, le choc l’avait fait céder. Plusieurs centaines de kilos de métal et de bois s’étaient alors effondrées sur l’assassin.

Iria était encore en état de choc lorsque son père et Krel la rejoignirent. Garmon posa sa main sur son épaule.

– Tu n’as rien ? demanda-il.

Iria ne répondit pas. Son corps tremblait de toute part, et ses yeux étaient rivés sur le tas de débris. Ce n’était plus la jeune femme sûre d’elle qui se tenait devant eux, mais une enfant effrayée. Garmon tenta de la rassurer :

– Je suis fier de toi, tu t’es bien débrouillée.

Il essuya le sang qui recouvrait la bouche de sa fille et banda la blessure qu’elle avait au bras avec un morceau de tissu qu’il déchira de sa propre chemise. Il sentit alors le regard de sa fille le parcourir de haut en bas. Le visage de la jeune femme blêmit à la vue de ses multiples blessures.

– Papa…

– Des égratignures, ne t’inquiète pas.

– C’est la première fois que je tue quelqu’un… murmura-t-elle.

– Tu as fait ce qu’il fallait. C’était lui ou toi. Tu n’as rien à te reprocher.

Iria acquiesça timidement. L’aubergiste la prit dans ses bras.

– Va nous attendre à la maison, d’accord ? Et prépare tes affaires. Ne prends que le strict nécessaire.

Elle hocha la tête une nouvelle fois. Aidée par son père, elle se leva et se dirigea vers la ville d’un pas hésitant.

– Tu es sûr que ça va aller pour elle ? demanda Krel.

– Elle est plus forte qu’elle n’y paraît. (Son regard descendit vers les deux hommes inconscients.) Ces hommes sont sans aucun doute ceux qui ont tué Minsa. Je préférais qu’elle ne voie pas ça.

« Minsa… » L’aura rouge entoura de nouveau Krel.

– Calme-toi, le stoppa Garmon. Il nous les faut vivants pour le moment. J’ai des questions à leur poser, et toi aussi.

Le grand homme avait raison. Krel s’efforça, tant bien que mal, de contrôler sa colère. L’aura sanguine se dispersa quelque peu, mais sans pour autant disparaître.

– Où est leur chef ? questionna Garmon. Je ne vois son corps nulle part.

– Il m’a échappé, avoua Krel. Mais ne t’inquiète pas, je l’aurais retrouvé avant le lever du jour.

Il administra un coup de pied à l’homme à la mâchoire fracturée. L’assassin ouvrit difficilement les yeux. Son regard était hagard.

– Qui t’envoie ? somma Krel.

L’homme fronça les sourcils. Il voyait les lèvres du déahra bouger, mais il était incapable de comprendre ce qui en sortait. Il n’eut pas le temps de répondre qu’il replongea dans l’inconscience.

– Comment veux-tu qu’il parle ? commenta Garmon. Tu lui as brisé la mâchoire !

– Il peut toujours écrire. Laissons-le reprendre ses esprits.

Une paire de claques ramena le deuxième assassin à la réalité. Garmon dégaina son épée et plaça son tranchant sous la gorge du prisonnier.

– Qui êtes-vous ? Et qui vous envoie ?

L’homme au nez écrasé gloussa avec difficulté, révélant des dents tachées de sang.

– Vous êtes des morts en sursis. D’autres viendront prendre votre vie. Ce n’est qu’une question de temps.

Krel prit l’épée des mains de Garmon et la planta dans la cuisse du captif.

– Qui t’envoie ? hurla Krel.

Le visage de l’homme blêmit. Mais à la déception du déahra, il n’y eut aucun cri de douleur. Krel n’avait à présent qu’une envie : trancher sa gorge et voir ses yeux implorer son pardon.

– Je vais m’en occuper, intervint Garmon en reprenant son arme. On a besoin de lui vivant.

Krel avait toutes les peines du monde à se maîtriser. La sensation qu’il venait de ressentir, le stress du combat et le souvenir de Minsa avaient fait naître en lui un état d’hystérie. Ses actes commençaient à échapper à tout contrôle.

Il matérialisa une sphère d’énergie rouge et l’appliqua sur la partie entaillée de la cuisse. Une odeur de viande brûlée se fit sentir. L’assassin devint écarlate.

– Comme tu l’as constaté, mon ami n’est pas très patient, expliqua Garmon. Je te conseille de parler, et vite.

Pour toute réponse, l’homme lui cracha au visage. L’énorme poing de l’aubergiste s’encastra dans son estomac.

– Mauvais choix. Krel ? invita-t-il d’un geste de la main vers le prisonnier.

Le déahra planta l’épée dans la seconde cuisse du prisonnier, puis cautérisa la plaie avec sa magie. Le visage de l’assassin atteignit une pâleur extrême. Son corps tremblait de toute part. Pourtant, il ne cédait toujours pas.

– Tu as reçu un bon entraînement, concéda Garmon. Bon nombre de personnes auraient déjà parlé. Mais ne crois pas qu’on va s’en arrêter là. Nous aussi nous avons quelques connaissances en matière de torture. Vous allez payer pour ce que vous avez fait à nos hommes sur Gildor. Crois-moi, ce sera une mort lente et douloureuse.

– Tu crois… que… cela me fait peur ? souffla l’assassin. Nos vies… ne sont… que souffrance. Ce serait plutôt… une libération.

– Tu n’as donc rien à perdre à nous dire qui vous a engagé.

– Si… mon honneur.

– Laisse tomber, renonça Krel. Il ne parlera pas.

Garmon soupira et laissa la place à son compagnon.

– Tiens-lui les bras, dit-il.

Le grand homme attrapa le prisonnier et le jeta face contre terre. Il s’assit ensuite sur lui, et lui saisit le bras droit. Il cala le membre sur une de ses cuisses, lui tendant tous les muscles. Krel fit quelques moulinets avec une des épées noires. Il avait l’air ravi.

– On n’est pas obligé d’en arriver là, dit-il, conciliant. Bien que cette perspective me ravisse !

Une fois de plus, l’assassin resta silencieux. Agacé, Krel abattit son arme. La lame siffla et le membre tendu se détacha du reste du corps dans une gerbe de sang. L’homme hurla à la mort — cris qui furent aussitôt étouffés par la main de Garmon. Krel cautérisa le moignon avec sa magie puis pointa l’épée vers le bras gauche de l’assassin.

– Qu’as-tu à gagner à nous tenir tête, à part souffrir ? Souhaites-tu que je te démembre morceau par morceau ? (Il fit signe à Garmon de tendre l’autre bras, puis il leva son épée). Après cela nous nous occuperons de tes jambes.

L’homme en cape noire comprit alors qu’il ne supporterait pas une telle barbarie. Au plus profond de lui, il préférait une mort rapide plutôt que de prolonger ce supplice.

– Arrêtez… Supplia-t-il, essoufflé. Je vais parler. C’est le duc Meraz qui nous a engagés. Nous avions pour mission de ramener l’artefact… et de tuer tous ceux qui avaient pu avoir le moindre contact avec lui.

– Quels sont les autres assassins dont tu as parlé ?

– Nos aînés… Si une équipe échoue dans sa mission… une autre, plus expérimentée, prend le relais. Tel est le credo des Lames Noires.

– Les Lames Noires ?

L’assassin ignora la question et continua dans sa lancée :

– Votre vie ne se résumera plus qu’à… une fuite sans fin… où la mort… sera votre seule issue.

– Comment annuler le contrat ?

L’homme eut un ricanement qui se mua en toussotements rauques. Il cracha du sang.

– Il ne peut pas être annulé. Seule votre mort y mettra un terme. (Il ricana de nouveau.) Vous serez des… proies… jusqu’à la fin de vos jours ! Sachez… que toutes les personnes qui vous sont chères disparaîtront les unes après les autres. Votre chère amie de Gildor n’était que la première…

Ces dernières paroles furent de trop. Krel l’attrapa par les cheveux et lui trancha la gorge. Le corps de l’assassin eut plusieurs soubresauts avant de s’immobiliser définitivement. Le regard du déahra se posa alors sur le second assassin.

– Retourne à Cimira, dit-il à Garmon. Je m’occupe de retrouver leur chef.

Le grand homme acquiesça, puis partit.

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