Chapitre IX : Le roi en exil

Publié le par Géhaimme

Ephus était la plus belle ville de Mem’ra, voir même de tout Arcania. L’ensemble des passagers du Coslius s’était rassemblé sur le pont supérieur afin de profiter du survol de la cité. Les bâtiments arboraient des teintes claires, et leurs toits étaient faits en tuiles de verr — un cristal très résistant, couleur émeraude. Une particularité qui avait fait la réputation de la capitale.

La métropole avait été bâtie dans une des rares prairies que comptait le centre de l’île, juste entre les montagnes et l’immense forêt de conifères. La cité abritait de hautes bâtisses, aux allures de manoir, ainsi que de nombreux jardins. Iria était émerveillée par la vision de richesse et de prospérité qui s’affichait sous ses yeux. De sa vie, elle n’avait jamais vu pareille merveille ! À côté d’Ephus, Cimira paraissait morne et dénuée d’intérêts. Et ce vert émeraude qui étincelait de toute part était comme hypnotisant. La colère qui l’avait habité ces derniers jours semblait s’être évaporée.

La ville était aussi très animée : ses rues grouillaient de passants, de marchands, d’artistes, de comédiens, ou encore d’artisans. Ses places étaient toutes emplies de marchés et autres foires. Un dynamisme que l’on retrouvait également dans son espace aérien.

Tout cela était dominé par une imposante structure, située au centre même de la ville : une haute tour, dont la base était entourée par un large bâtiment circulaire. Un édifice à l’image d’une forteresse avec son donjon.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda Iria, en pointant la tour du doigt.

– C’est le Palais du Conseil, répondit son père. Le centre du pouvoir.

– Il est impressionnant.

– Et il le sera encore plus quand tu passeras devant, dit Krel, qui semblait avoir l’esprit ailleurs.

– Et là ? dit-elle en désignant quatre autres grands bâtiments, chacun muni de tours et d’un dôme.

– Ce sont les cathédrales des Quatres, poursuivit Garmon. Une pour chaque dieu, comme ça pas de jaloux. Celle au nord est dédiée au culte d’Azmard, le dieu de la guerre et de la destruction. Celle à l’est, à Gaë – la déesse de la vie et de l’amour. Celle au sud, pour Stern – le dieu de la sagesse et de la compassion. Et enfin, celle à l’ouest pour Juno, la déesse de la tromperie et du commerce.

– J’aime bien Juno, déclara Iria, enjouée. (Elle soupira de bonheur.) Cette ville est vraiment magnifique !

– C’est l’une des plus belles villes du monde, dit Krel.

– Si ce n’est LA plus belle, enchérit Garmon.

Le géant et sa fille continuèrent à discuter sur les différents aspects de la ville. Garmon était ravi de pouvoir partager un tel moment avec elle. Krel, lui, était préoccupé par autre chose : le moment inéluctable de livrer le médaillon à la Guilde à grands pas, or il ne comptait pas le leur remettre. Il mourrait pour voir Bale gire à ses pieds !

Le galion amorça sa descente vers un aéroport situé en périphérie de la cité. Il se fraya un chemin parmi la nuée de navires qui sillonnait le ciel et alla se poser sur un terrain dégagé. La coque de l’aéronef toucha le sol herbeux avec douceur, entre deux autres navires de transport. Des passerelles furent aussitôt amenées et accolées aux flancs du galion. Les passagers commencèrent alors à descendre.

– Terminus ! lança Garmon sur un ton enjoué.

Il balança son sac sur son épaule et s’engagea sur la passerelle. Krel les suivit avec peine, les bras surchargés des bagages de la jeune humaine.

– Dépêche-toi ! s’écria cette dernière à son encontre.

– Pourquoi est-ce moi qui porte tes affaires ? grogan-t-il.

– Parce que c’est toi le plus costaud de nous deux et que je ne peux pas transporter tous mes bagages.

– Quel besoin avais-tu de prendre autant d’affaires ?

– Tu ne connais rien aux femmes… soupira-t-elle.

Les trois compagnons se laissèrent guider par le flot de passagers et s’engagèrent dans une des principales avenues de la cité. Les abords des aéroports étaient plus qu’abondants en auberges, mais Krel insista pour qu’ils s’enfoncent davantage dans le centre d’Ephus : si les assassins tentaient de les retrouver, ils fouilleraient en priorité les établissements à proximité des aéroports. Cette précaution leur ferait gagner du temps, au cas où.

Ils trouvèrent une auberge à un prix raisonnable aux alentours du quartier marchand. L’établissement s’avérait discret et bien entretenu. Ils y prirent deux chambres, une pour Krel et une pour les Telvs. Le déjeuner fut un régal ; rien à voir avec la nourriture de second choix qu’on leur avait servie sur le Coslius.

– Où va-t-on maintenant ? demanda Iria, tout en rompant une miche de pain.

– Rejoindre le siège de la Guilde et prévoir un entevue pour leur remettre l’artefact, répondit Garmon. Nous en profiterons pour voir avec nos supérieurs comment régler cette affaire avec les Lames noires.

Krel acquiesça vaguement. Il voulait leur parler de ses projets, par respect pour eux. Mais comme à chaque fois que l’opportunité se présentait, il n’en fit rien. Après avoir fini leurs assiettes, l’équipe rejoignit la cohue qui donnait vie aux rues de la capitale.

– Je vais vous laisser ici, annonça soudainement Krel. Je dois voir quelqu’un qui pourra peut-être nous aider. On se retrouve ce soir à l’auberge, d’accord ?

Garmon fut quelque peu étonné par la spontanéité de son compagnon : ce genre de comportement n’était pas ses habitudes. Puis, il comprit à qui Krel comptait rendre visite. Mieux valait les laisser seuls.

– Tu vas où ? s’enquit Iria.

Elle n’eut pas de réponse. Il fit volte-face et disparut dans la foule. Outrée, elle s’apprêta à le rattraper, mais Garmon la retint d’une main.

– On ne va pas le laisser partir comme ça avec le médaillon ? s’exclama-t-elle. Et s’il s’enfuit avec ?

– Il ne serait jamais venu nous trouver s’il l’avait voulu. J’ai confiance cet homme, et c’est bien l’un des seuls. Il nous retrouvera ce soir. Allons voir la Guilde.

Iria fut atterrée par la confiance aveugle que son père portait à l’égard de ce déahra. Comment pouvait-il être si sûr de lui ? Elle voulut insister, mais le regard de son père lui fit comprendre que sa décision était irrévocable. Frustrée, elle confina son indignation au fond d’elle et continua à marcher au sein de la foule.

Krel trouva facilement l’endroit qu’il cherchait. Et pour cause ! Ce n’était rien d’autre que le Palais du Conseil lui-même. Ce dernier était situé au point de jonction des six grandes avenues qui desservaient la cité. La tour faisait près d’une centaine de mètres de haut. Et ses murs étaient élégamment habillés de colonnes, de bannières aux couleurs verte et blanche, et de statues de héros légendaires. Krel fut, comme à chaque fois, touché par la magnificence des lieux, et de leur beauté architecturale.

Deux arcaniens, revêtus d’une lourde armure de verr, montaient la garde devant l’entrée principale. Leur armure vert émeraude, couplée à leur heaume stylisé, leur donnait une allure princière. Une prestance à hauteur de leurs compétences martiales : ces hommes étaient l’élite militaire de Mem’ra.

Krel les dépassa et monta les marches qui menaient au grand hall de réception. Le hall était immense et de toute beauté. Le sol était de marbre, comme les murs. Au plafond était exposée une coupole emplie de fresques en tout genre.

Il y avait peu de monde ce jour-là. « Heureusement », pensa Krel. Car, lors des pics de fréquentation, les files d’attente pouvaient jusqu’à obstruer l’entrée. Le palais regroupait les principaux organes du pouvoir : l’administration centrale, le Grand tribunal et la Chambre du Conseil — le cœur politique et législatif du royaume. La tour était l’endroit où les dix Conseillers venaient discuter des affaires les plus importantes.

Le hall d’accueil se décomptait en une vingtaine de bureaux de renseignements. Une trentaine de personnes attendait devant chacun d’eux. Au centre de la salle se tenait un escalier de marbre qui menait aux étages supérieurs du palais. Son accès était restreint aux seules personnes convoquées. Une dizaine de chevaliers de verr y montait d’ailleurs la garde.

Au vue de la longueur des files d’attente, Krel calcula qu’il y en avait pour une heure, au minimum. Il n’avait pas tout ce temps devant lui ! Sans gêne, il remonta la file la plus proche et poussa l’humain qui était au guichet.

Une arcanienne d’un certain âge officiait se tenait derrière le bureau, elle-ci était choquée par un tel manque de civilité. Elle portait l’uniforme gris des administrateurs. Mais avant même qu’elle ne puisse protester, Krel posa une chevalière sur le comptoir. L’ojet représentait une tête de loup. L’arcanienne blêmit et quitta aussitôt son poste.

Derrière, les protestations enflaient. Krel leur jeta un regard meurtrier. Les bouches se turent instantanément, et le groupement migra vers d’autres bureaux.

Être déahra avait parfois ses bons côtés…

L’arcanienne revint quelques minutes plus tard, accompagnée d’un humain au crâne rasé. L’homme avait un certain âge, il était vêtu d’un uniforme argenté, celui des secrétaires.

– Monsieur ? demanda-t-il poliment.

Krel lui présenta le bijou.

– C’est urgent, dit-il d’un air sérieux.

L’homme hocha la tête et l’invita à le retrouver en haut des escaliers. Il lui remit un laissez-passer. Krel avait horreur de la paperasserie, mais Mem’ra était très stricte sur les procédures. Il passa sans peine la sécurité et se trouva accueillit au sommet des escaliers par le même homme, flanqué d’un chevalier de verr.

– Veuillez me suivre, s’il vous plaît.

L’humain le guida dans un dédale de couloirs, de pièces et d’escaliers que comptait le Palais. Un véritable labyrinthe pour qui n’y travaillait pas ! Leur périple s’arrêta quelques minutes plus tard, devant une grande porte en chêne massif gardée par deux arcaniens en armes et en armure.

– Attendez ici, déclara l’humain. Je vais voir s’il peut vous recevoir. À quel nom dois-je vous annoncer ?

Krel lui remit la bague.

– Remettez-la-lui. Il saura.

Le secrétaire acquiesça, même si tant de mystère lui déplaisait. Il disparut derrière les lourdes portes de bois pour ne revenir que quelques minutes plus tard.

– Le Conseiller Nurdhal va vous recevoir. Veuillez cependant laisser vos armes aux gardes. Ils vous les remettront à votre départ.

Krel obtempéra et défit son ceinturon. Une fois délesté de son équipement, on le laissa entrer. La pièce était spacieuse et lumineuse. Au centre se tenait un bureau massif, encadré par deux grandes bibliothèques. De grandes fenêtres l’éclairaient. Devant l’une d’elles se tenait un démon vêtu d’une longue toge blanc et or.

Légèrement de profil, sa silhouette laissait percevoir une barbe poivre et sel qui camouflait un visage carré. Ses cheveux, de même couleur, étaient mi-longs et attachés en queue de cheval. Le cuir de ses ailes accusait lui aussi d’un certain âge. Légèrement moins grand que Krel, mais doté d’une musculation plus importante, le Conseiller se tenait droit comme un « i ». Sa simple présence imposait immédiatement le respect.

– Voilà bien longtemps que je ne pensais plus te revoir, dit-il sur une voix grave et profonde. Que me vaut le plaisir de ta visite ?

Krel déglutit avec difficulté. Cet homme était bien l’un des seuls à le mettre mal à l’aise.

– J’ai besoin de votre aide.

Le vieux démon se retourna, révélant deux yeux rouges luisants comme la braise. Malgré les rides qui creusaient son visage, le Conseiller présentait de nombreuses similitudes physiques avec le déahra.

– Pourquoi devrais-je t’aider ? N’est-ce pas toi qui es parti à l’aventure en toute ignorance de mes avertissements ?

Krel se sentit acculé devant ses choix et ses erreurs passés.

– C’était il y a bien longtemps, les temps ont changé. Je suis aujourd’hui dans une situation délicate dont je ne peux me défaire seul. Je ne peux m’en remettre qu’à vous, et à vous seul.

– Pourquoi ne fais-tu donc pas appel à tes « amis » de la Guilde ? Ne sont-ils pas ta « famille » après tout ?

– Cela m’est impossible. Mon problème est en partie lié à eux.

– Voilà qui est un comble ! Abandonné par ces chers amis dont tu me chantais les louanges, te voilà de nouveau devant moi. Seul et perdu. Je ne t’aiderais pas, Krel. Tu as fait tes choix il y a bien longtemps, à présent assume-les.

– Est-ce là, la façon dont vous traitez votre famille ? En les abandonnant quand ils sont dans le besoin ?

Le Conseiller éclata d’un rire jaune.

– Épargne-moi tes serments ! Tu n’es pas en mesure d’en donner : cela ne t’a posé aucun problème d’abandonner la tienne quand seule la vengeance comptait pour toi. Aucune des raisons que tu me présenteras ne justifiera mon aide. Tu n’as jamais rien fait pour la mériter.

Krel sentit la frustration monter en lui : trois jours de voyage pour obtenir un « non » en moins de cinq secondes était difficilement supportable.

– Deroth… tenta-t-il.

– Conseiller, le reprit son interlocuteur.

– Je me suis lié à un médaillon ! explosa le déahra.

Cette fois, le Conseiller garda le silence. Ses yeux étaient écarquillés comme des soucoupes.

– Je me suis mis dans une situation très dangereuse, expliqua rapidement Krel. Je dois le restituer à la Guilde, mais m’en séparer est tout simplement impossible : un lien magique m’unit à ce dernier. Si je m’en sépare, je meurs. Et si je ne le leur donne pas, c’est eux qui me tueront.

Ce n’est pas tout… L’homme à qui j’ai dérobé cet artefact a engagé la confrérie des Lames Noires pour le récupérer.

Deroth semblait comme vidé de ses forces. Il dut s’assoir derrière son bureau. Peu de personnes connaissaient l’existence de ces artefacts, le Conseiller était l’une d’elles. Et pour cause, son second fils, Bale, était devenu l’élu d’un d’entre eux. Il connaisait les malheurs que pouvaient apporter ces artefacts.

– Qu’attends-tu de moi exactement ? finit-il par dire.

– Que vous rachetiez le contrat à la Guilde. Et votre protection contre les Lames Noires.

Le Conseiller eut un rire forcé.

– Cinquante années d’absence et tu viens comme si de rien n’était en me demandant monts et merveilles… (Il se mordit les lèvres.) Très bien. Je vais mettre de côté nos vieilles querelles et t’accorder ce dont tu as besoin.

Dès ce soir, viens à ma demeure avec tes amis. Tu y seras en sécurité pendant que j’organise ta protection. J’userai également de la police secrète. Mais son utilisation est strictement limitée par le Conseil. Il me faut d’abord convaincre les autres Conseillers.

Pour le reste, ce ne sera pas un problème. La Guilde est facilement amadouée par l’or, elle me cèdera le contrat sans discuter.

Krel esquissa un sourire agacé. Pas une seule fois au long de cette discussion il n’avait mentionné l’existence de Garmon et d’Iria, or Deroth venait clairement de les désigner. Il était donc déjà au courant de la raison de leur résence en ville. Toute cette entrevue n’avait été qu’une mascarade, le Conseiller avait déjà prévu de l’aider ! Un tel agissement de sa part ne pouvait signifier qu’une chose : Deroth avait quelque chose en tête. Quoi ? Il n’en savait rien pour le moment. Il ne doutait pas que la réponse lui vienne rapidement.

Le déahra remercia chaleureusement son ascendant pour cette aide bienveillante. Car malgré les différends qui les avaient éloignés, Deroth avait tout mis de côté à l’annonce des dangers qui guettaient son petit-fils. Après un demi-siècle de séparation, leurs liens n’étaient finalement pas aussi morts qu’il se l’était imaginé.

Lorsque Krel fut parti, Deroth saisit sa plume ainsi qu’un morceau de papier et griffonna quelques lignes. Tout ne s’était pas passé comme prévu… Il devait en informer son contact au plus vite ! Il plia la lettre, l’inséra dans une enveloppe qu’il cacheta avec son sceau privé. Il fit ensuite mander un de ses coursiers, auquel il remit la missive. Le soir même, le messager montait à bord du premier aéronef en partance pour Alfard.

Krel rejoignit l’auberge en fin d’après-midi. Garmon et Iria l’y attendaient depuis plusieurs heures.

– Comment s’est passé ton rendez-vous ? s’enquit le grand homme.

– Mieux que je ne l’avais espéré, répondit Krel qui avait du mal à dissimuler son soulagement. « Il » nous invite dans sa demeure en attendant que les choses s’arrangent.

– Et il a accepté, comme ça ? Alors que ça fait presque cinquante ans que vous ne vous parliez plus ?

– Il était déjà au courant de tout. Je ne sais pas ce qu’il a derrière la tête, mais son « aide » sera payante. C’est certain !

– Bénis soient les Quatre ! s’écria Garmon. On va peut-être s’en tirer alors.

J’ai de mon côté arrangé l’échange, il aura lieu dans une semaine sur la place Vensud, sur la terrasse de l’auberge de l’étoile. Artos nous y attendra.

– C’est étrange qu’ils nous fassent attendre autant. Surtout pour une affaire aussi étrange. Qu’on-t-il dit pour les Lames noires ?

– Qu’ils allaient s’en occuper. Nous devrions plus être inquiétés à présent. Pour l’attente, ils veulent que le client le récupère en main propre. Pour éviter tout vol. Ha ! Il me tarde d’y être. Krel, nous allons être des hommes riches !

Le déahra se mordit la langue. Il ne se sentait pas le courage de tout leur dire. Il le ferait demain.

– Mais nous avons déjà payé nos chambres, fit remarquer Iria. Pourquoi ne pas y aller demain ?

– Là où nous allons, nous serons en sécurité. Et crois-moi, tu ne regretteras pas ces quelques drakes de dépensées.

– Et quelle est cette personne chez qui nous allons ? demanda-t-elle, intriguée.

– Tu verras, répondit Krel.

Le soir venu, ils se présentaient devant les grilles d’une luxueuse villa. Deux chevaliers de verr y montaient la garde. Iria peinait à croire qu’il s’agissait là de leur nouvelle demeure. Elle en était même à penser que Krel se jouait d’elle. Mais comme pour lui donner tord, un démon vêtu de beaux habits vint à leur rencontre.

– Monsieur Nurdhal, salua le démon en s’inclinant devant le trio. Qui sont ces personnes qui vous accompagnent ?

La jeune humaine n’en crut pas ses oreilles. Monsieur ? Et en plus, il s’inclinait devant lui ! Mais qui était donc ce déahra ? Comment pouvait-il, lui, un simple voleur, bénéficier de la protection d’un si riche propriétaire ? Elle se tourna vers son père, qui ne semblait nullement empreint au même questionnement. Elle en déduisit qu’il savait depuis le départ. Heureusement pour lui, la situation ne permettait pas à sa fille de lui sauter au cou pour lui faire avouer tout ce qu’il savait. Elle confina son indignation au fond d’elle et fit comme si de rien n’était. Elle aurait ses réponses plus tard !

– Ils sont avec moi, répondit Krel. Ce sont… mes valets.

Iria se tourna si soudainement vers Krel pour le fusiller du regard qu’elle faillit s’en faire un torticolis. Krel fit un signe discret pour lui faire comprendre de garder le silence. Le majordome les invita à entrer. Krel se tourna alors vers elle avec un sourire vengeur :

– Valet, dit-il en désignant son sac. Apportez cela dans ma chambre.

Iria crut qu’elle allait l’étrangler sur place. Elle joua cependant le jeu, en jurant de se venger le moment venu. L’intérieur de la villa était aussi somptueux que sa façade. Tout était de marbre blanc, de Verr et d’argent. Deroth aimait le luxe, et il ne s’en cachait pas. La sécurité était aussi au rendez-vous : il y avait un garde à chaque couloir.

Iria fut subjuguée par ce luxe dont jamais elle n’avait été aussi proche. Qui était ce fameux protecteur ? Et comment Krel le connaissait-il ? Cela l’agaçait de plus en plus d’être toujours la dernière informée. Elle allait le leur faire savoir ! Quand ils seraient seuls.

Le majordome les mena lui-même jusqu’à leurs chambres respectives ; situées au premier étage.

– Le dîner sera servi à huit heures précises, déclara-t-il avant de se retirer.

Krel crut qu’Iria allait défaillir lorsqu’elle découvrit sa chambre : spacieuse et luxueuse. Le choc fut tel, qu’elle en oublia instantanément la rancœur qu’elle éprouvait contre le déahra.

Le soir arriva vite, et les convives furent invités à descendre au rez-de-chaussée pour dîner. Le repas appelait à être un véritable festival de saveurs. Deroth était cependant absent des convivialités, une affaire urgente l’avait appelé ailleurs. Un repas entre eux trois donc, mais qui allait prendre un tout autre tournant que celui de la festivité.

Iria ne cessait de cogiter depuis leur arrivée, ce qui accroissait son mécontentement général. Elle ne parla pas du repas, et ne mangea que peu. Son comportement attira vite l’inquiétude des deux hommes. Et lorsque Krel osa lui demander si elle se sentait bien, il mit, sans le savoir, feu au baril de poudre.

– Je parlerais quand vous aurez décidé de me parler ! rugit-elle. Il y en a marre de vos secrets à tous les deux. Vous saviez dès le départ que l’on viendrait ici, et vous ne m’avez rien dit ! Je fais partie du groupe, oui ou non ? Pourquoi me mettez-vous de côté ?

Krel et Garmon restèrent pétrifiés. Le flot de paroles continuait à se déverser comme un raz-de-marée. Après un long monologue, où même les serviteurs avaient jugé bon de se retirer, elle se tut et laissa un silence de plomb s’abattre sur la tablée.

Les deux hommes ne savaient plus s’ils devaient parler ou non. Devant leur silence, elle s’énerva davantage et quitta la salle en claquant les portes.

– Elle a raison… finit par dire Garmon. Je la prenais encore pour une gamine, mal m’en a pris. Elle a besoin tout autant que nous de savoir ce vers quoi elle va. On ne pourra pas continuer comme ça. Je vais aller lui parler.

Il se leva et quitta à son tour la salle. Non pas pour rejoindre sa chambre, mais pour gagner les jardins qui occupaient le centre de la villa.

Krel s’assit sur le rebord d’une fontaine. Revoir cette demeure après tant d’années lui faisait chaud au cœur. Cela faisait aussi longtemps qu’il ne s’était pas autant senti en sécurité. Il n’eut guère le temps de profiter de ce moment de solitude qu’un chevalier l’alpagua.

– Je suis désolé Monsieur, mais par raison de sécurité vous devez regagner l’intérieur de la villa. Ordres du Conseiller.

Krel soupira. Son séjour n’allait pas être de tout repos si le moindre de ses faits et gestes était épié. Il allait regagner sa chambre, quand le majordome l’interpella.

– Monsieur Nurdhal ?

– Oui ?

– Mon maître vous fait demander.

Deroth était déjà de retour ? Que pouvait-il bien lui vouloir à une heure aussi tardive ? Le démon le conduisit dans une grande bibliothèque. Haute de deux étages, elle s’étalait sur plus de cent mètres carrés. Deroth était là, en train d’étudier un vieil ouvrage aux reliures de cuir.

– Assieds-toi, l’invita-t-il. Je veux que l’on discute de plusieurs choses. Des choses importantes.

– Lesquelles ?

– En premier lieu, je voudrais savoir qui a lancé ce contrat sur ta tête. Je ne peux rien faire si je ne connais pas son identité.

– C’est le duc Meraz. C’est lui qui a engagé les Lames noires.

– Comment le sais-tu ?

– Une Lame Noire a eu la gentillesse de partager ses informations avec nous.

Deroth fronça les sourcils. Krel lui raconta alors ce qui s’était produit à Cimira.

– Hum… Si c’est bien cette fripouille, il va le regretter.

– Le problème reste que pour la confrérie un contrat ne prend fin qu’à la mort de la cible, fit remarquer Krel.

– Il existe une autre solution, contra le Conseiller. Celui qui a passé le contrat peut l’annuler à condition de doubler la prime qu’il avait versée. Le duc a les moyens. Et de ce que je sais, ce n’est pas quelqu’un de très courageux. Avec de bons arguments et un peu de pression, il cédera.

Le déahra hocha la tête. Deroth était l’un des dix Conseillers qui dirigeaient Mem’ra, son pouvoir personnel était donc très étendu. Mais cela ne semblait pas être la seule chose que son grand-père voulait lui dire. Les minutes qui suivirent lui donnèrent raison.

– Je veux également que l’on parle affaires. Comme tu as dû t’en douter, mon aide ne sera pas gratuite. Tu devras accepter une condition pour la recevoir.

– Quelle est-elle ?

Deroth prit son temps pour répondre. Une attitude qui avait le don d’exaspérer le déahra.

– J’ai réfléchis à notre conversation de cet après-midi. De tout ce que tu as dit, tu n’as jamais évoqué la solution de chercher un moyen de te séparer du médaillon. J’en déduis donc que tu souhaites le conserver. Suis-je dans le juste ?

Krel se sentit démasqué. Il fut incapable de répondre quoi que ce soit.

– Ton silence confirme mes suppositions. Après cette première déduction, une seconde m’est venue par la suite : l’usage que tu prévois d’en faire.

Krel déglutit avec difficulté, le Conseiller l’avait mis à nu. Deroth ferma l’ouvrage et le poussa sur le côté. Il joint ses mains et regarda son petit-fils droit dans les yeux.

– Ma condition est que tu abandonnes cette idée. Que tu tournes la page et que tu vives une vie normale.

Krel se leva d’un coup, la rage au cœur.

– Tu me fais du chantage ? s’écria-t-il.

– C’est en effet comme cela que ça s’appelle. Cela fait soixante ans maintenant, il est temps de passer à autre chose. Même les humains ne sont pas si têtus.

– Il a tué mes parents ! Il m’a imposé sa marque (il montra son gantelet en gage de preuve) et par-dessus tout, il a détruit ma vie ! Même toi, il a tenté de te tuer. Je ne comprends pas comment tu peux lui pardonner…

– Je ne lui pardonne rien du tout. Comment le pourrais-je ? J’ai seulement tourné la page. J’ai une nouvelle vie, de nouvelles responsabilités. Et toi, où en es-tu ? Toujours au même endroit ! Tout démon ou arcanien de ton âge serait déjà marié.

– Tant que Bale sera en vie, je ne pourrai jamais tourner la page. Il est la chaîne qui condamne mon futur !

La tension monta d’un cran.

– La vengeance ne te mènera à rien ! Elle va te consumer petit à petit. Comme elle l’a fait pour moi. Regarde-toi, tu es tellement obnubilé par lui, que tu ne vois même pas ce qui t’entoure.

– Et qu’est-ce qui m’entoure ?

– La vie ! Arrête de t’enfermer dans cette sphère de haine, libère-toi. Sois heureux !

– Si c’était pour me dire ça, ce n’était pas la peine de me déranger, vociféra Krel dont l’aura rouge commençait à se former. Ce n’est pas cinquante ans après que tu pourras me changer !

Deroth soupira : son petit fils était têtu comme une mule, impossible de lui faire entendre raison.

– Tu es un idiot… Je pensais qu’un demi-siècle d’aventure t’aurait rendu plus sage. Je me suis trompé. Tu es toujours l’enfant que j’ai connu à l’époque !

Tu l’as peut-être oublié, mais Bale détient un pouvoir qui dépasse l’entendement. Ni moi, ni Emric n’avons pu le vaincre, crois-tu réellement que tu puisses réussir là où nous avons échoué ?

– J’en ai maintenant la force !

– Est-ce le fait de posséder ce médaillon qui te rend aussi confiant ? Si c’est le cas, ne t’appuie pas trop dessus. Bale possède son médaillon depuis bien plus longtemps que toi : les pouvoirs de l’artefact ne sont plus être un secret pour lui.

– Et alors ? Cela ne m’empêchera en rien de l’affronter !

Le Conseiller tapa du poing, plus qu’agacé par l’obstination de son petit-fils.

– Et s’il te tue, il obtiendra un médaillon de plus ! Renonce, l’enjeu est trop important.

– La conversation est terminée ! trancha Krel en se levant d’un bond.

Deroth n’eut pas le temps d’en dire davantage que son petit-fils quitta la bibliothèque. Le Conseiller était au comble du désespoir. Alors qu’il retrouvait son petit-fils, ce dernier allait de lui-même vers sa propre mort. Et il ne pouvait pas l’en empêcher…

– Prêt à commencer l’entraînement ? lança Azrael.

– Et comment ! répondit le déahra, toujours aussi furieux.

Voilà donc quelle était la finalité du plan de son grand-père : le laisser venir pour ensuite le piéger !

– Par quoi commence-t-on ? s’impatienta-t-il.

– Par de la théorie.

Krel tomba des nues. La théorie n’avait jamais été son fort…

– Vous devez être patient. Le pouvoir des ombres est le pouvoir le plus subtil de tous, expliqua Azrael. Il n’est pas destiné à attaquer, mais à camoufler. Par conséquent, il est l’un des plus difficiles à maîtriser. Il est donc nécessaire que vous connaissiez ses avantages et ses points faibles.

Le déahra absorba ses paroles comme une éponge.

– Tu m’as parlé de douze médaillons. Quels sont leurs pouvoirs ?

– Le Feu, l’eau, l’air, la terre, la glace, la foudre, la lumière, l’ombre, la vie, la mort, l’esprit, et le temps.

L’élu resta coi devant la multitude de ces pouvoirs. Tous abordaient un des éléments de la nature. Et étrangement, tous semblaient extrêmement dangereux comparés au sien. Le gardien lut ses pensées comme dans un livre.

– L’ombre est certes le plus faible de tous, mais il est également le plus sournois. Vous êtes un voleur, vous avez donc déjà de nombreuses qualités pour maîtriser ce pouvoir.

Krel espérait qu’il avait raison, car le seul point positif qu’il avait retenu jusqu’ici était que les autres élus ne pouvaient ressentir sa présence.

– Je vais commencer par vous enseigner le premier des pouvoirs du médaillon : la matérialisation.

– La création d’un objet à partir de l’énergie du médaillon ?

– Vous avez bien retenu mes précédentes explications. Il faut avant tout que vous sachiez quelle sorte d’objet vous désirez matérialiser. Il vous faut aussi savoir que forger un objet est long et difficile, cela demande beaucoup d’exercice. Pour le début, je vous conseille de vous concentrer sur la création d’un objet simple.

Krel réfléchit. Une épée courte aurait été sa première réponse. Mais au fond de lui, il voulait une arme non conventionnelle qui corresponde à l’essence même du médaillon. Une arme subtile et imprévisible ! Une idée lui vint alors. Elle était aux antipodes de ce que venait de lui conseiller le gardien, mais il aimait les défis. Le point noir était qu’il ne connaissait rien au maniement d’une telle arme.

– L’arme que vous avez employée lors de notre affrontement. C’est cela que je veux.

Azrael resta dans un premier temps muet, puis éclata d’un rire fantomatique.

– Vous n’avez pas choisi le plus facile. Avez-vous déjà manié une arme de ce genre ?

– Non, avoua-t-il.

En un mouvement de bras, Azrael matérialisa une longue chaîne munie d’une lame courbée.

– L’on appelle ceci une chaîne-lame. Comme vous l’avez constaté, elle ne se manie pas comme une arme conventionnelle. Il faut des années de pratique pour espérer utiliser ses techniques les plus simples.

Mais Krel ne se laissa pas démonter. Il insista, jusqu’à ce que le gardien cède.

– Nous ferons selon votre volonté. Tout d’abord, il faut que je vous explique la technique de la création. Le médaillon enferme en lui-même une quantité quasi infinie d’énergie, elle sera votre matière première. Vous devez l’extraire et la guider jusqu’à la partie du corps où vous souhaitez matérialiser l’objet. Vu votre degré de maîtrise de la magie, ce ne devrait pas être difficile.

Il vous faudra ensuite traiter cette énergie comme si vous étiez en train de travailler un métal. Votre esprit sera le marteau qui lui donnera la forme voulue. Vous devrez ainsi forger un à un les maillons de la chaîne, puis la lame. Je tiens tout de même à vous rappeler que cela ne sera pas un jeu d’enfant.

Krel hocha la tête, sans trop se soucier de cette difficulté tant surlignée. Il se concentra sur le médaillon et sentit la puissance prodigieuse qui en émanait. Il se servit de sa propre énergie comme d’une main pour s’emparer de cette force et la guider jusqu’à son bras droit. Mais très vite, Krel se rendit compte que si matérialiser son énergie sous forme d’une sphère lui était chose facile, matérialiser un objet précis ne l’était nullement. À chaque tentative, il sentait la magie du médaillon se déformer et échapper à son contrôle. L’habitude qu’il avait acquise à former des sphères d’énergie était devenue son pire ennemi : dès qu’il tentait de réfréner ce réflexe, il perdait aussitôt le contrôle de l’énergie extraite.

Mais à force de travail, et après plusieurs heures, Krel parvint à forger son premier maillon. Il avait certes eu l’impression de devoir tordre une barre de fer trois fois trop résistante pour lui, il avait tout de même comprit la technique.

Azrael observait la scène en silence. Son maître présentait des compétences très intéressantes. Lui-même avait mis près de trois jours pour réaliser cette étape. Quoiqu’à son époque, les déahras n’existaient pas encore. Krel progressait vite, très vite — sûrement grâce à l’entraînement indispensable qu’il avait dû suivre pour contenir l’énergie instable contenue dans son corps.

La nuit avançait rapidement, beaucoup trop au goût de l’initié. Lorsque la séance prit fin, il n’avait forgé que le premier maillon. Il perdait le contrôle de sa création dès qu’il tentait d’en forger un deuxième.

– Comprenez-vous à présent la complexité d’une telle arme ? le questionna le gardien.

Krel ne put répondre que par l’affirmative. Une simple lame aurait été en effet beaucoup plus simple et rapide à réaliser. Cependant, il ne décrochait pas de son idée.

– Je recommencerais la nuit prochaine. Jusqu’à y arriver.

Azrael sourit devant la persévérance dont faisait preuve son maître.

– Pensez à fixer la longueur de la chaîne, et à la forme de la lame. Une fois que vous aurez réussi à la réaliser, il faudra vous entraîner à la matérialiser en condition de combat. C’est-à-dire le plus rapidement possible.

Il passa sa main sur son bras opposé. La chaîne apparut aussitôt.

– Avec la pratique, cela devient une habitude. Vous n’y penserez même plus.

Krel calcula qu’avec sa maîtrise actuelle, une telle action lui aurait coûté des mois d’efforts. La magie « ordinaire » était une chose, celle-ci était complètement différente. Un pouvoir puissant qui demandait un contrôle infaillible.

Ils n’eurent pas le temps de partager davantage que le temple commençait déjà à disparaître, signe que l’aurore se levait dans le monde réel. Krel se jura de réussir le lendemain, et de s’entraîner chaque jour s’il le fallait.

Krel se réveilla au petit matin. Son corps était reposé, mais le prix à payer pour une nuit d’activités cérébrales intensives était d’un lourd mal de crâne. « Sans doutes, une habitude à prendre… » se rassura-t-il.

Il descendit dans la grande salle à manger. Un fabuleux petit déjeuner l’y attendait. Les Telvs avaient déjà commencé les hostilités : dans leurs assiettes ne restaient que les miettes des viennoiseries et des fruits qu’ils avaient avalés. Deroth était encore une fois absent. Après un rapide bonjour, Krel s’installa.

– Deroth nous a dit qu’il avait une affaire importante à régler au Palais du Conseil, déclara Garmon, occupé à découper des tranches de pain. Il sera de retour cet après-midi.

Krel l’en remercia. A vrai dire, cette absence l’arrangeait : il n’avait pas envie de rediscuter du sujet de la veille. Il prit une viennoiserie et en avala la moitié.

– En tout cas, ton grand-père à de très bons goûts, déclara Iria, rayonnante. La villa est somptueuse et la nourriture excellente ! Je pourrais rester ici toute ma vie.

La remarque fit sourire Krel. Iria semblait avoir retrouvé le moral. Il adressa des remerciements silencieux à son grand ami.

– Enfin... ajouta-t-elle. Il y a des choses que tu aurais pu me dire toi-même. Être le petit-fils d’un des hommes les plus influents du monde, ce n’est pas quelque chose que l’on cache à ses coéquipiers !

Krel fit semblant de ne rien entendre. Il était préoccupé par autre chose : dans deux jours, il devrait remettre le médaillon à la Guilde, et il n’avait toujours pas la moindre idée de comment y échapper.

La première partie de la journée passa en un éclair, accentuant l’angoisse du déahra. L’absence de Deroth avait un inconvénient : il ne pouvait se renseigner immédiatement sur les médaillons. Il dut chercher à tâtons dans la bibliothèque des ouvrages relatant de ces artefacts. Les livres de Deroth ne lui apportèrent que peu d’informations sur les médaillons. Ces artefacts étaient si anciens, qu’il n’en restait quasiment plus aucune trace de leur existence. Il questionnerait Azrael à ce sujet.

Pendant ce temps, Iria et son père en profitèrent pour faire le tour de la propriété et ses jardins, dont ces derniers leur furent interdits pour les mêmes raisons que leur ami.

Quand midi sonna, le déahra et les Telvs partirent pour la place Vensud. Trois chevaliers les escortaient. La foule était toujours aussi dense. Ils eurent du mal à s’y frayer un chemin. Une heure après leur départ, ils arrivèrent à destination. La pancarte de l’auberge de l’étoile fut facilement repérable.

– Attendez-nous là, dit Krel aux gardes.

Les arcaniens obéirent, même si l’idée de laisser leurs protégés seuls quelques instants leur déplaisait hautement. C’était une auberge commune, très fréquentée. Un lieu idéal pour les rencontres informelles. La clientèle était variée, elle comprenait aussi bien des magiques que des humains.

Garmon aperçut Artos attablé au fond de l’établissement. Krel sentit son cœur battre de plus en plus vite… Artos était un arcanien de cheveux brun — coupés mi-longs — auquel il manquait une aile. Il portait un long cache-poussière ainsi qu’un grand chapeau à plume. Ils s’assirent autour de la table et commandèrent des cervoises. L’arcanien avait un visage grave…

– J’avais espéré que vous ne veniez pas, dit-il d’une voix pleine de remords. Je suis navré, mais en restant en vie, vous mettez la Guilde en danger. Les Lames Noires ont tué deux des nôtres, plus un noble qui assurait notre protection. Nous n’avions pas d’autre choix que de vous livrer.

Le trio se figea. Ils venaient de comprendre que ce rendez-vous était un piège ! Il devait rejoindre la villa, et au plus vite.

– Vous avez encore quelques secondes pour fuir, ajouta l’arcanien.

Ils sautèrent de leur chaise. Mais un humain et un arcanien se levèrent de leur table et leur barrèrent la route. Ils tenaient dans leurs mains des épées de métal noir.

– Pas de bagarre dans mon auberge, beugla le tenancier. Si vous voulez vous battre, c’est…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’un petit carreau noir se figea dans sa gorge. La panique gagna alors la clientèle, qui se dispersa dans le désordre le plus complet. Krel remarqua que deux autres assassins se tenaient sur leur gauche. L’un d’eux avait une petite arbalète fixée au poignet. Le quatuor avait la même configuration que celui de Cimira !

Garmon profita de la cohue pour balancer sur leurs agresseurs tout le mobilier qui se trouvait à portée de mains.

– Cours ! hurla-t-il à sa fille.

Iria profita de l’effet de surprise pour forcer le passage. L’humain tenta alors de l’attaquer, elle sauta sur le côté puis se jeta au travers de la fenêtre la plus proche. Elle se réceptionna en roulé-boulé aux pieds des trois chevaliers de verr qui les escortaient.

– Des assassins ! s’écria-t-elle. Dans l’auberge.

Ils s’engouffrèrent aussitôt dans l’auberge, lames dehors.

Krel et Garmon étaient aux prises avec les deux premières Lames Noires. Ils s’étaient décalés vers l’un des murs de l’établissement pour éviter un encerclement. L’arrivée des chevaliers de verr divisa le front, et soulagea les défenseurs. À présent, les assassins étaient en infériorité numérique.

Les deux premières Lames Noires furent rapidement abattues. Les survivants battirent en retraite vers l’est du bâtiment, vers les fenêtres qui donnaient sur la rue. L’arbalétrier couvrait leur fuite par une salve de carreau. Un des traits se planta dans la cuisse du déahra. Et un autre dans le cou d’un des chevaliers de verr.

Krel refoula la douleur et roula sous une table. Une boule noire métallique tomba alors à leurs pieds. Une petite mèche en pleine combustion en dépassait. Ils eurent juste le temps de se jeter hors du bâtiment que la déflagration pulvérisait l’auberge.

Des bruits d’hommes en armes et armure se firent alors entendre. Dix miliciens apparurent au coin d’une des rues. Ils prirent en chasse les fuyards.

Krel et Garmon se relevèrent, à moitié sonnés par l’onde de choc. Une foule de curieux s’était amassée sur la place Ventsud. Iria se fraya un chemin jusqu’à son père, soulagée de le retrouver en vie. Krel lui adressa un sourire de félicitation. Elle avait su réagir comme il le fallait.

Soudain, un malaise indéfinissable l’envahit. Sa tête tournait. Tout ce qui l’entourait devenait un tourbillon de couleurs et de son difformes. Il se sentit perdre alors l’équilibre et heurter les dalles de la grande place. Il lui sembla comme entendre la voie de Garmon l’appeler au loin. Mais il ne comprenait pas ce qu’il disait. Un froid glacial commença alors à se répandre en lui.

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